Lutte contre les procès-bâillons «SLAPP»

Le 11 mai 2022, le Conseiller national Raphaël Mahaim (Les Vert-e-s/VD), membre de la CAJ-N, a déposé l’initiative parlementaire 22.429 «Procès-bâillons en Suisse. Pour une réglementation protégeant mieux la liberté de la presse».

Cette initiative parlementaire vise à créer une base légale permettant de mieux cadrer les procédures-bâillons en Suisse. Le droit de la population à l’information et la liberté des médias seraient ainsi mieux protégés et renforcés de manière significative dans notre pays.

Une large alliance du paysage médiatique suisse – dont investigativ.ch – soutient cette démarche et s’engage avec conviction en faveur d’une meilleure protection contre les procédures-bâillons, désignées également sous l’acronyme SLAPP (strategic lawsuits against public participation).

Que sont les SLAPP?

Les procès-bâillons, les SLAPP, sont des actions en justice téméraires visant spécifiquement à intimider les professionnels des médias, les éditeurs ou les ONG pour contraindre ces derniers à une autocensure de fait. De telles plaintes sont déposées même si elles n’ont aucune chance d’aboutir sur le fond devant un tribunal. Elles obligent cependant les médias ou les ONG mis en cause à consacrer d’importants moyens à leur défense sur le plan juridique.

Compte tenu notamment de la récente révision de l’art. 266 lettre a CPC, laquelle renforce les mesures à l’encontre des médias, il ne fait aucun doute que des procès-bâillons se multiplieront dans notre pays ces prochaines années. Concrètement, il existe un risque réel que les professionnels des médias hésitent à l’avenir à parler d’un plaignant qui aura précédemment menacé ceux-ci de conséquences juridiques funestes.

Le «Plan d’action national pour la sécurité des journalistes en Suisse» (PAN), lancé cette année par l’Office fédéral de la communication, montre que les SLAPP posent également un problème en Suisse. Les plaintes abusives – et la manière dont on peut protéger le journalisme contre ces dernières – constituent précisément l’un des thèmes centraux de ce plan d’action.

Les SLAPP sont un problème majeur, en particulier pour les petits médias

Si l’instrument des actions judiciaires contre les médias est utilisé de manière stratégique et abusive, il peut fortement entraver, voire empêcher, le travail d’investigation des rédactions pourtant si essentiel au bon fonctionnement de notre démocratie. Alors que les grandes entreprises de médias, qui disposent souvent de leur propre service juridique, sont à même de se défendre plus aisément, ce sont surtout les médias de petite et de moyenne taille qui ne peuvent, dans les faits, contrer des plaignants abusifs. En effet, l’investissement en temps et en argent nécessaire pour s’opposer à une procédure-bâillon en justice est élevé et dépasse les moyens d’un média de petite ou de moyenne taille.

Une meilleure protection contre les SLAPP empêcherait que des acteurs disposant de ressources financières importantes ne puissent faire pression sur certains médias dans le seul but d’empêcher la publication de contenus rédactionnels critiques à leur égard, un procédé qui contrevient à la liberté des médias. Il existe de nombreux exemples de médias suisses qui ont subi de telles pressions: Gotham City et Vigousse, en Suisse romande, ou la Schaffhauser AZ, en Suisse alémanique, ont tous été l’objet de telles plaintes abusives qui ont entravé l’exercice de leur activité journalistique de manière notable.

Les mesures contre les SLAPP peuvent être introduites dans le droit suisse

Il n’y a pas qu’en Suisse que les SLAPP posent problème: l’UE s’est déjà penchée sur la question et a publié un projet de nouvelle directive en avril 2022, laquelle doit permettre aux tribunaux de rejeter rapidement les procédures manifestement dénuées de fondement engagées contre des journalistes et des personnes actives dans la défense des droits de l’homme. Elle prévoit en outre une série de garanties procédurales et de recours, dont des dommages-intérêts et des sanctions dissuasives contre les plaintes abusives.

De nombreux autres États, notamment les États-Unis, ont également adopté des lois visant à limiter les effets négatifs des procès-bâillons. La Suisse peut donc s’inspirer des évolutions au plan international pour résoudre ce problème.

Une liberté des médias sous pression

A cela s’ajoute que la récente révision de l’article 266 lettre a du Code de procédure civile aura pour effet de restreindre la liberté des médias en Suisse, dans la mesure où les obstacles aux mesures superprovisionnelles, donc potentiellement aussi aux plaintes abusives, ont été assouplis à la faveur de cette révision.

Dans le classement international de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières, la Suisse a reculé à la 14e place cette année, un recul également dû à l’article 47 de la Loi sur les banques. Plus récemment encore, le projet de révision de la Loi sur le renseignement affichait d’inquiétudes velléités de limiter la protection des sources dont bénéficient les journalistes.

On le voit: le cadre juridique des professionnels des médias se détériore fortement en Suisse. L’initiative parlementaire de Monsieur le Conseiller national Mahaim, qui, en tant qu’avocat, lutte contre les procédures-bâillons dans le cadre son activité professionnelle, constitue une demande particulièrement urgente. Elle permettrait de créer un cadre légal indispensable pour protéger davantage les médias contre des abus de droit.

Ce texte provient de la prise de position commune signée et envoyée aux parlementaires par l’Alliance des médias, composée entre autres d’investigativ.ch, Médias Suisses, l’association Médias d’avenir, le Conseil suisse de la presse, SRG SSR, syndicom, impressum, SSM, Reporters Sans Frontières, Loitransparence.ch, etc.